Texte

Rien à jeter

Faut-il esthétiser l'horreur du monde pour parvenir à donner à voir ce qu'il peut avoir de profondément absurde ?
Tout l'art pictural mis en œuvre par Franck Brossy semble déployé pour nous inviter à nous poser cette question. Ce qui est déjà énorme dans un monde blasé où tous pensent tout savoir et où chacun ne cherche sur une toile que la seule confirmation de ce qu'il ou elle sait déjà.

C'est dans ce contexte que cette démarche demande à être appréhendée. Son message, le signifié global, est tout sauf nouveau. On pourrait même trouver cela insignifiant de bien-pensance et usé jusqu'à la corde tant se sont multipliées les
« natures mortes de décharges publiques » depuis les années 70. On pense naturellement aux déchetteries et puces d'Edward Kienholz, bien sûr, comme aux hamburgers et trognons de poires géants de Claes Oldenburg. Pour commencer.

Mais Franck Brossy ne se contente pas de répéter un message éculé à force d'être hurlé dans le silence de l'indifférence. C'est précisément cette absence de sensibilité du public qu'il peint avant qu'elle ne conduise à une perte de tout principe de réalité. Il y a là un cri d'alarme en sourdine et c'est ce qui fait sa force.

C'est pourquoi tout est jeté et à jeter ici. Le métal de la spatule et la lame ne fait pas dans la dentelle du pinceau. Mais tout n'en est pas moins d'une grande finesse. Tout cela n'est pourtant rien, juste bon à être benné et c'est pourquoi chaque élément du puzzle mérite paradoxalement d'être représenté et mis artistiquement en lumière.
Les effets picturaux dominants et structurants nous enseignent que l'on peut faire du beau avec du laid. Une sorte
« d'obscur clair » en quelque sorte. Tout à l'inverse d'Oldenburg finalement.  Avec en plus un très travaillé brouillage des cartes entre horizontalité et verticalité qui confère au spectateur un regard plongeant démiurgique.
L'art de dénoncer l'abject imposerait donc de se masquer sous le glacis mat d'une beauté plastique bien dans son époque. L'art se devrait à présent de de rassurer d'abord le premier regard par son apparente insignifiance. Franck ne nous crie pas dessus d'entrée ! Il préfère visiblement que l'on trouve ses toiles belles, chromatiquement harmonieuses et savamment composées, avant de réaliser ce qu'elles attendent vraiment de nous.
L'art serait-il l'ultime moyen de faire entendre l'indicible pour Franck Brossy ?
Il nous initie en tout cas à une discipline qui lui est manifestement propre : écouter avec les yeux.

Éric SEMBACH 
ART actif